DES MAINS
Des mains
Il n'aurait fallu qu'un moment de plus pour que la mort vienne mais une main nue alors est venue qui a pris la mienne (Aragon)
J'avais posé mon baluchon
A l'étage d'un lupanar
Quai de Belgique à Saigon
Fourmilière d'un peuple hagard
La fièvre des quatre-chevaux
Dans l'agitation des porteurs
Et puis l'entrechoc des bateaux
Des jonques et sampans dormeurs
Le duong exhalait ses tonnelles
De nuoc mam sous une chaleur
Trop pesante et pestilentielle
L'on s'activait malgré sa peur
Contexte révolutionnaire
Dessous leurs fortins de fortune
Dans chaque rue des militaires
Ciblaient cette foule commune
Évoquant le passé prospère
Des grandes banques d'Indochine
Dessous leurs façades austères
Quelques cyclo-pousses trottinent
Face au port à même le fleuve
Hébergés dessous les pontons
Qu'il fasse fournaise ou qu'il pleuve
Des gens nus d'autres en haillons
En arceau sur leurs bases arrières
Rizières devenues lagons
Les blindés et les howitzers
Crachaient l'éclair comme dragons
Quand mon coursier au nom Dalat
Bravait le Triangle de Fer
La ville assiégée de Ben Cat
Au feu des portes de l'enfer
C'était un jour vraiment torride
Au retour d'une expédition
Le long des arroyos fétides
A rechercher mes compagnons
Marie Vô était repartie
Me laissant seul et solitaire
Ce soir-là j'étais de sortie
Sur Lē Loi la vivante artère
A maudire tous les stratèges
Super-cerveaux de cette guerre
Les décideurs qui se protègent
Des champs d'horreur et de misère
Une petite amérasienne
Et ses grands yeux m'interpellant
Réfugia sa main dans la mienne
Et me parla chemin faisant
A mes cheveux et ma peau claire
Avait-elle cru reconnaître
L'image lointaine d'un père
Le soldat qui l'avait fait naître
Ma lâcheté valait la sienne
Je l'ai laissée les mains chargées
De gâteaux dessous la persienne
D'une boutique endommagée
Oublieux de son cri perçant
Pensant ma mission souveraine
Fragile oiseau rendu conscient
Aux frayeurs de la nuit prochaine
Il est des temps où tout vacille
Mon dakota ce vieux coucou
Avait été mis en charpie
Près de la base de Plei ku
Nous avions rebroussé chemin
Atterrissant mais de justesse
Dans l'attente du lendemain
Tu paraissais une princesse
Lorsque tu m'avais abordé
Dans la pénombre de l'hôtel
Me proposant de me border
Jusqu'au matin sacrificiel
L'élégance de ta tunique
Blanche comme une lycéenne
J'avais eu réponse pudique
Une main tendre sur la tienne
Car si le corps a ses noblesses
Respect de toi ou respect d'elles
Je ne côtoie pas la détresse
Des femmes dites de bordel
Des tirs sur le Col des Nuages
La guérilla se manifeste
Nos amis sont là de passage
Sur Tourane versant nord-est
Un seul regard nos mains se ferment
Nos espoirs un instant liés
Car nos objectifs se comprennent
Tu vois je n'ai pas oublié
A quoi riment ces regrets vains
D'avoir brûlé ma vie sans gloire
Je n'ai pas de sang sur les mains
Mais bien des plaies à la mémoire
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